Filiatio : Dans la réflexion autour de l'accouchement anonyme ou discret, quel est l' " intérêt de l'enfant " auquel toutes les parties se réfèrent pour défendre des positions diverses ?
Marcel Rufo : L'accouchement sous X est un très mauvais service à rendre à l'enfant. Dans ma carrière, j'ai vu beaucoup d'enfants qui sont nés sous X : pour eux, c'est une faille, une brisure extraordinaire dans leur développement. Ils ne se construisent pas un roman familial de substitution : avec le X et son mystère, ils imaginent toujours le pire de leur origine. Bien sûr, je défendrai toujours la possibilité pour la mère d'abandonner son enfant. Mais la mère qui ne veut pas, elle existe malgré tout. L'enfant doit avoir son nom, son origine, il doit pouvoir demander " pourquoi ? " quand il sera grand. On ne peut pas se défausser d'un enfant.
F. : Avez-vous un message à faire passer à nos femmes et hommes politiques belges ?
M. R. : Je suis persuadé qu'en France, à l'occasion du prochain débat présidentiel, on reviendra sur la loi sur l'accouchement anonyme. Dans le respect des femmes en difficulté, évidemment. Mais on reste la mère de l'enfant qu'on a fait naître. L'enfant, quand on décide de sa survie in utero, est une personne. L'avortement est une loi sublime pour libérer les femmes de la pression d'avoir des enfants, elles peuvent avoir des enfants comme elles veulent, mais si elles décident d'aller au bout de la grossesse, l'enfant existe et il a des droits, tout comme la mère.
F. : Que pensez-vous de l'accouchement dans la " discrétion " ?
M. R. : C'est une formule intermédiaire intelligente. En France, nous avons eu les mêmes discussions afin que l'enfant puisse avoir au moins des éléments identifiants. Il doit avoir une idée de qui était sa mère et de qui était son père. Je vous signale d'ailleurs que dans cette histoire, on oublie toujours le père. Je crois qu'il ne faut pas l'oublier dans cette démarche.
F. : A ce propos, que pensez-vous de l'idée que le père puisse garder l'enfant s'il se doute que la femme est enceinte et souhaite accoucher sous X ou abandonner l'enfant ?
M. R. : Je trouve que c'est intéressant que le père apparaisse aussi dans cette histoire, qui est uniquement féminine. Les nouveaux pères en ce sens sont une avancée significative, ils accompagnent la grossesse, ils laissent parler leur part féminine, ils s'occupent de leur enfant. Je ne vois pas pourquoi un enfant qui part mal dans la vie à cause de difficultés au sein du couple qui l'a fabriqué ne puisse pas aussi bénéficier d'un père. Cette proposition me semble une excellente chose pour les enfants à venir dans ces conditions difficiles.
F. : Avez-vous un message à faire passer à la Belgique et à l'Europe ?
M. R. : Nous avons besoin d'une éthique européenne de l'enfance. Il ne doit pas y avoir de tourisme éthique, par exemple sur l'insémination artificielle, ou sur l'accouchement sous X. Ce serait une belle mission pour l'Europe et pour les enfants qui y grandissent.
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Article paru dans Filiatio n°3 (décembre 2011)